François Bougon, journaliste, a été correspondant en Chine pour l’AFP et a couvert l’Asie pour Le Monde. Il est désormais responsable du service étranger de Mediapart. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de son ouvrage « Hong Kong, l’insoumise – De la perle de l’Orient à l’emprise chinoise » aux éditions Tallandier.
Vous décrivez des récits opposés : pour Pékin contrôler Hong Kong, c’est laver les humiliations du colonialisme ; pour la jeunesse de Hong Kong, c’est la Chine qui est une nouvelle puissance coloniale.
Nous avons vu ce territoire du sud de la Chine devenir progressivement un lieu de tensions géopolitiques, entre la Chine et les Occidentaux, au premier rang desquels les États-Unis de Trump. Ce dernier a transformé ce qui était au départ une guerre commerciale en affrontement idéologique présenté comme une nouvelle guerre froide entre deux blocs antagonistes – le « monde libre » d’un côté et Pékin de l’autre – et Hong Kong se trouve en plein milieu de cette confrontation. Par là, Trump a mis fin à une séquence de collaboration ouverte à la fin des années 1960 par Richard Nixon, une stratégie qui, malgré des crises comme la répression sanglante de Tiananmen en 1989, n’avait jamais été remise en cause par aucun président américain. Xi Jinping, désigné secrétaire général du Parti communiste en 2012, à la tête d’une Chine beaucoup plus forte économiquement, bouscule également le statu quo. Lui a rompu avec la politique de profil bas adopté par Deng Xiaoping à la fin des années 1970 au moment du lancement de la politique de réforme et d’ouverture. Sous son égide, Pékin ne veut plus recevoir de leçons de la part de l’Occident et promeut un modèle alternatif : une croissance économique sans libertés politiques. Il promeut également une politique ethno-nationaliste, dans laquelle l’ethnie majoritaire han joue un rôle important au détriment des minorités ethniques. Ces changements, Hong Kong en subit les conséquences. Ce territoire de plus de 7 millions d’habitants n’est plus le carrefour entre Chine et Occident, mais un objet d’affrontement où le passé colonial – les plus de 150 ans de règne britannique – est rappelé par Pékin pour repousser toute forme d’ingérence vue comme un néo-colonialisme. Xi Jinping rappelle aussi l’avertissement de Deng : Hong Kong ne doit pas se transformer en base de subversion pour importer en Chine une « révolution de couleur ». Tel est le récit chinois. Côté hongkongais, ce qui est frappant en effet c’est à quel point la jeunesse née un peu avant la rétrocession (1997) ou juste après, et qui n’a donc pas connu le Hong Kong colonial, voit la Chine comme une puissance coloniale : un pays qui opprime leurs revendications démocratiques (un véritable suffrage universel), et méprise les traditions locales. D’où ce conflit entre ces deux visions.
Mao était-il indifférent vis-à-vis de Hong Kong ?
Mao n’était pas indifférent vis-à-vis de Hong Kong. Mais la priorité dans les années 1940 et 1950 était de triompher des nationalistes, puis, une fois arrivé au pouvoir, de consolider la révolution communiste en Chine continentale. Hong Kong n’était pas vu comme prioritaire, mais le discours officiel rappelait qu’il s’agissait d’une terre chinoise arrachée à la Mère-patrie par les puissances coloniales occidentales. En 1946, le Grand Timonier le dit à un journaliste britannique. Il se peut, explique-t-il, que dans dix, vingt ou trente ans, les Chinois demandent une discussion sur la rétrocession de la colonie, mais pour l’heure tant que les Chinois de Hong Kong ne sont pas discriminés en termes d’impôts et ont voix au sein du gouvernement, la République populaire de Chine s’en tiendra au statu quo. Et pendant la guerre de Corée, alors que Pékin doit subir un embargo de l’ONU et des Américains, Hong Kong se révèle très utile.
Deng voyait au contraire dans Hong Kong la potion magique pour moderniser la Chine, comment cela s’est-il traduit ?
Deng Xiaoping a vu tout l’intérêt que représentait la colonie pour la réussite de la modernisation chinoise. Cette « porte du Sud » va jouer un rôle primordial dans la politique de réforme et d’ouverture. Grâce au territoire, il dispose d’un atout dont n’a pas disposé l’Union soviétique : un point de contact avec le monde capitaliste et la possibilité de faire appel à des entrepreneurs dont les familles sont originaires des provinces méridionales du Guangdong et du Fujian. Et en octobre 1978, Deng Xiaoping plaisante en expliquant qu’il a trouvé la formule magique pour transformer son pays, c’est Hong Kong. Entre 1979 et 1995, deux tiers des investissements directs viennent de Hong Kong ou passent par la colonie britannique. Ils permettent à la province du Guangdong de jouer un rôle moteur et à la ville de Shenzhen, une zone économique spéciale où sont testées des politiques économiques capitalistes, de se développer et de devenir la vitrine du « miracle chinois ».
La normalisation est-elle en train de triompher ?
Malheureusement oui. Nous assistons de fait à la fin du régime « un pays, deux systèmes » qui avait permis à Deng de revendiquer le retour de Hong Kong au sein de la Chine. L’imposition par Pékin de la loi sur la sécurité nationale le 1erjuillet dernier – date anniversaire de la rétrocession – a marqué la fin de la semi-autonomie du territoire. Le destin de Hong Kong est la normalisation à la chinoise. Ceux qui s’y opposent et qui ne pourront pas prendre le chemin de l’exil, doivent s’attendre à être poursuivis.
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