Dans cette série de cinq articles, j’aborde au fil de l’eau les mémoires de Barack Obama, « Une terre promise », parues aux éditions Fayard le 17 novembre 2020.
On ne saura jamais si Barack Obama aurait été élu en l’absence de la grande crise économique et sociale dans laquelle les États-Unis étaient plongés en 2008 du fait de la gourmandise de Wall Street qui avait jeté des millions de personnes en dehors de chez eux parce qu’ils ne pouvaient plus assurer le remboursement des crédits qu’ils avaient accepté, assurés que la valeur de leur maison serait toujours en hausse.
À son arrivée au pouvoir, il doit donc faire face à de nombreux défis. Il regrette de ne pas avoir pu réaliser tout son programme, mais cela s’explique avant tout par les blocages au sein du Congrès et par un système politique américain dont les dérives se révèlent assez inquiétantes. Même une personne aussi brillante et charismatique qu’Obama qui arrive au pouvoir avec une solide majorité n’a pas été en mesure, du fait du système américain, de mettre en œuvre l’ensemble des réformes qu’il voulait mener.
Bien sûr, cela a été encore pire à partir de 2010 puisqu’il a perdu les Mid-terms elections : les démocrates ont perdu la majorité et les républicains sont devenus de plus en plus sectaires. Est-ce que le sectarisme républicain était augmenté du fait qu’il y avait un noir à la Maison-Blanche ? Obama n’est pas loin de le penser. Mais c’en était fini d’accords bipartisans et le chef de la majorité républicaine n’avait de cesse que de chercher à faire perdre Obama. Peu importe si les mesures qu’il proposait pouvaient sauver des emplois ou permettre d’éviter à des gens d’être chassés de chez eux. Le débat était bloqué. L’important était de faire échouer les réformes d’Obama puisque, comme le déclarait un élu républicain, « plus les gens sont en colère, plus de votes pour nous ». Il ne fallait donc pas aider à améliorer les choses puisque la colère était la base de la diminution de la popularité d’Obama et de l’augmentation de la popularité des républicains.
Lorsqu’il arrive au pouvoir, Obama a plusieurs objectifs. Tout d’abord mettre fin à la crise qui vient de complètement ruiner les États-Unis – le chômage est alors au plus haut. Il va globalement réussir à éviter un crash profond de l’économie américaine et il permettra de sauver de nombreux emplois. Ses deux premières années de mandat sont dures, mais chacun s’accorde à dire qu’il a pu permettre la relance de l’économie américaine, notamment celle de l’industrie automobile, et éviter ainsi que plus de gens ne soient jetés dans la misère.
Il a aussi à son arrivée de grands projets concernant l’environnement parce qu’il saisit l’importance de ces enjeux et il est sensible à la Terre qu’il va laisser à ses enfants. Sur ce sujet, il sera très souvent bloqué par les lobbys, notamment celui des énergies fossiles extrêmement puissant aux États-Unis.
Sa réforme de l’Obamacare, qui visait à offrir le minimum de soins à ceux qui ne pouvaient jusqu’ici se soigner a été présentée par ses opposants comme une mesure communiste. Il y a eu beaucoup de désinformations et de fake news sur le sujet, tellement une telle politique suscitait des rejets. Ce n’était bien sûr en rien une mesure communiste ni même socialiste : il s’agissait de donner un minimum d’espérance à tous. Étant fortement combattue, cette réforme n’a pas pu totalement être mise en œuvre.
Il voulait également lancer une grande mesure de désarmement nucléaire avec les autres puissances. Il raconte – et c’est le paradoxe du système américain – qu’afin d’obtenir l’accord d’un sénateur pour obtenir la signature d’un traité de désarmement nucléaire, il a été obligé d’accepter l’augmentation des dépenses nucléaires militaires américaines parce que ce sénateur avait des intérêts dans sa circonscription autour de l’appareil nucléaire militaire américaine. Lorsqu’il parle de la façon dont les républicains ont bloqué au Congrès son plan de relance, il écrit « C’était la première salve d’un plan de bataille que Mcconnell, Boehner, Cantor et consorts allaient déployer avec une impressionnante discipline au cours des huit années à venir. Le refus absolu de travailler avec moi ou les membres de mon gouvernement, quelles que soient les circonstances, quel que soit le sujet sans se soucier des conséquences pour le pays ».
Évoquant la réforme de Wall Street qu’il voulait mettre en œuvre et pour laquelle il a dû systématiquement faire des concessions à tel ou tel sénateur, il écrit la chose suivante « Par moment, je m’identifiais au pêcheur dépeint par Hemingway dans Le vieil homme et la mer, entouré de requins qui grignotaient la prise qu’il s’acharnait à rapporter à terre ». Obama n’a pas les coudées franches : chaque mesure qu’il propose doit être négociée avec ses adversaires, mais également avec des partenaires, des démocrates, dont assez peu ont le courage de leurs convictions. Il s’est bien sûr heurté au puissant lobby militaro-industriel, il écrit d’ailleurs : « Si le président Eisenhower, commandant suprême des forces alliées et architecte du D-day s’était parfois senti impuissant face à ce qu’il appelait le complexe militaro-industriel, il était fort probable que faire passer des réformes soit plus difficile pour un président afro-américain, fraîchement élu, qui n’avait jamais revêtu l’uniforme, qui s’était opposé à un engagement auquel beaucoup avaient consacré leur vie, souhaitait restera le budget militaire et avait certainement perdu le vote du Pentagone avec une marge considérable. » C’est pour cette raison qu’il n’a pas pu mettre fin aussi rapidement qu’il le voulait aux guerres d’Afghanistan et d’Irak, se heurtant au pentagone très régulièrement. C’est en cela que la lecture des mémoires de Barack Obama n’est pas franchement réconfortante. Si Barack Obama, avec son énergie, son intelligence et son charisme ainsi que la solide équipe qu’il avait autour de lui, n’a pas pu mettre en œuvre les réformes qu’il souhaitait, est-ce que Biden pourra le faire ? Ces réformes étaient de l’intérêt général, aussi bien s’agissant de la réduction des inégalités, la protection de l’environnement, la réduction des dépenses militaires. Obama s’est heurté au mur d’intérêts privés, au mur des lobbys, au mur de l’hypocrisie des élus, on peut craindre que Biden ait encore moins de possibilités pour venir les briser.
Cet article est également disponible sur Mediapart Le Club.