Dans cette série de cinq articles, j’aborde au fil de l’eau les mémoires de Barack Obama, « Une terre promise », parues aux éditions Fayard le 17 novembre 2020.
Barack Obama est profondément patriote. Il croit en l’Amérique, il croit dans ses vertus et dans le caractère pionnier et fondateur de cette nation qui donne sa chance à tout le monde. Son patriotisme a été remis en cause parce qu’il est métis et que pour certains, voir un métis, un noir à la Maison-Blanche est inadmissible. Les mêmes n’ont donc cessé de remettre en cause le fait même qu’il soit né aux États-Unis et qu’il ait pu être élu – si on ne nait pas aux États-Unis, on ne peut être élu à la fonction suprême. Donald Trump avait d’ailleurs été l’un des premiers à inventer le mythe autour du lieu de naissance de Barack Obama.
Son opposition à la guerre d’Irak était également présentée par certains comme un manque de patriotisme. Il était accusé de ne pas être assez dur avec les régimes « ennemis des Américains ». Or, en constatant la catastrophe qu’a été la guerre d’Irak pour les États-Unis, c’est plutôt Obama qui avait raison. Être patriote ne signifie pas toujours suivre la ligne majoritaire et le courage en politique appelle parfois à aller à contre-courant. Et cela peut être au bénéfice des États-Unis : qui peut contester le fait que les États-Unis ont été bien plus populaires sous Obama que sous Bush ? Il est clair que le patriotisme de Barack Obama ne peut être remis en cause.
Il évoque également dans ses mémoires, dans de longs passages, ses visites aux soldats, les lettres que les soldats blessés ou mutilés lui envoyaient et les problèmes de conscience que lui posait à chaque fois l’idée d’avoir envoyé des jeunes Américains dans la force de l’âge aller se faire tuer ou mutiler dans une guerre inutile.
C’est justement parce qu’Obama est un vrai patriote américain qu’il peut être aussi critique lorsque son pays s’écarte des règles qu’il a lui-même fondées, des principes qu’il a lui-même proclamés. Dès la préface du livre, il pose explicitement la question : « Nous soucions-nous de faire coïncider la réalité de l’Amérique avec ses idéaux ? Si tel est le cas, croyons-nous vraiment que nos principes – autodétermination, libertés individuelles, égalité des chances, égalité devant la loi – s’appliquent à tout à chacun ? Ou tenons-nous en pratique si ce n’est en théorie à préserver ces grandes idées à quelques privilégiés ? »
Il poursuit « Le monde observe donc l’Amérique la seule grande puissance de l’histoire constituée de personnes venues des quatre coins de la planète, comprenant toutes les races, religions et pratiques culturelles pour voir si notre expérience en matière de démocratie peut fonctionner, pour voir si nous pouvons faire ce qu’aucune autre nation n’a jamais fait, pour voir si nous pouvons nous hisser à la hauteur de notre conviction. »
Bien sûr, cela n’a pas toujours été le cas : Obama rappelle par exemple comment les pays africains notamment, auquel les États-Unis et le FMI ont donné des leçons de bonne gestion, desquels ils ont exigé une réduction des dépenses publiques, ont pu porter un regard plus négatif sur l’Amérique après le grand crash économique de 2008-2009, symbole de la folie de la bourse américaine, des Subprimes, de la gourmandise de Wall Street, qui ont jeté non seulement des millions d’Américains, mais également des dizaines de millions de personnes dans le monde dans la misère.
Il critique l’état d’esprit à Washington de l’ère Bush « l’état d’esprit qui voyait des menaces à tous les coins des rues tirait une fierté perverse de son unilatéralisme et considérait l’action militaire comme une manière presque ordinaire de régler les situations géopolitiques. » Revenant sur la guerre froide, il écrit « Mais hélas, nous avons pris des aspirations nationalistes pour des complots communistes, confondu intérêts commerciaux et sécurité nationale, sabordé des gouvernements élus démocratiquement et pris le parti d’autocrates chaque fois que nous y serions à notre avantage ». Il ne faut pas oublier qu’Obama a vécu en Indonésie où un coup d’État au nom de la lutte contre le communisme a fait des centaines de milliers de morts. Il condamne bien sûr les multiples ingérences américaines dans les affaires des autres pays en écrivant « nous nous mêlions des affaires des autres pays avec des résultats parfois catastrophiques. Nos actes ont souvent été en contradiction avec les idéaux de démocratie et d’autodétermination dont nous nous revendiquions. »
Obama est animé d’un patriotisme conséquent : il a appris que s’il voulait porter haut et loin les couleurs de son pays, il fallait également tenir compte les aspirations des autres peuples. Comment expliquer cela ? Il le dit lui-même : « Exister, être entendu, avoir une identité propre, reconnue et jugée digne d’intérêt. Il me semblait que c’était un désir universel aussi fort chez les nations et les peuples que chez les individus. Si je comprenais mieux cette vérité élémentaire que certains prédécesseurs, c’était peut-être parce que j’avais passé une grande partie de mon enfance à l’étranger et que j’avais de la famille dans des endroits longtemps considérés comme arriérés et sous-développés ou que, étant afro-américain, je savais ce que cela signifiait d’être partiellement invisible dans son propre pays. »
Dans un pays comme les États-Unis – mais dans d’autres également – où très souvent les principes affirmés sont éloignés de la pratique suivie dans la politique réelle, ces paroles d’Obama sonnent haut et fort, et témoignent qu’être patriote, vouloir défendre l’intérêt national, ce n’est pas forcément vouloir écraser les autres, pas seulement vouloir ne jamais prendre en considération les intérêts et les aspirations des autres nations. C’est aussi en les respectant que l’on développe le mieux l’international de son propre pays.
Cet article est également disponible sur Mediapart Le Club.