Il y a un peu plus d’un an, le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed recevait le prix Nobel de la paix pour avoir enfin mis fin à la guerre avec son voisin érythréen, et pour avoir démocratisé un pays qui était particulièrement répressif. Aujourd’hui le même est à la tête d’un pays qui pourrait se livrer à des massacres de masse dans la région du Tigré.
L’Éthiopie a été dirigée par l’empereur Hailé Sélassié jusqu’en 1974. Si celui-ci vivait alors dans le luxe, tandis que le pays était frappé par une pauvreté généralisée et de nombreuses famines. Il est renversé en 1974 par une junte militaire qui instaure une dictature de fer sans ramener croissance économique ni mettre fin aux épisodes de famine. En 1991, le Tigréen Meles Zenawi chasse cette junte militaire et prend le pouvoir en Éthiopie. Les Tigréens prennent donc le pouvoir à Addis-Abeba, bien qu’ils ne représentent que 6% de la population de l’Éthiopie (aujourd’hui ils représentent environ 6 millions d’habitants sur près de 110 millions dans le pays). Zenawi meurt en 2012.
En 2018, Abiy Ahmed est élu Premier ministre, et les Tigréens se sentent marginalisés par le pouvoir central, qu’il détenait auparavant. Ils ont donc récemment exprimé des volontés séparatistes, déclenchant la crainte d’une sécession à Addis-Abeba qui a menacé militairement les Tigréens. Ces derniers refusant de céder à la menace, les combats se sont déclenchés depuis déjà plusieurs jours et se sont même exportés en Érythrée. Des crimes de guerre ont été observés selon certaines ONG, mais le pire reste peut-être encore à venir.
Le Premier ministre éthiopien a demandé aux Tigréens de se rendre pacifiquement pour éviter de nouveau massacre, ce à quoi les dirigeants Tigréens ont répondu par la négative en affirmant être des hommes d’honneur qui lutteront pour conserver le droit de diriger leur région. Le porte-parole de l’armée éthiopienne s’est montré beaucoup plus menaçant. Il s’est adressé aux habitants de Mekele, capitale de la région du Tigré, en les avertissant qu’il fallait fuir, que des instructions allaient leur être données, et que dans le cas contraire il n’y aurait pas de pitié. C’est donc la menace d’un massacre de grande échelle qui plane désormais sur la région. Dans ce cadre, le Premier ministre a refusé toute médiation, qu’il s’agisse de ses pairs africains qui sont venus assez nombreux pour tenter de lui faire entendre raison, ou des autres voix internationales.
L’Éthiopie représentait une « success story » africaine, non seulement par la démocratisation du pays, mais aussi par ses performances économiques. Le pays s’est très fortement développé au cours des dernières années avec une des croissances économiques les plus importantes au monde, représentant donc une sorte de modèle pour le reste du continent. Le modèle semble aujourd’hui tourner au cauchemar. La situation actuelle révèle les problèmes d’un pays dans lequel les communautés estiment qu’elles ne peuvent plus vivre ensemble parce qu’elles ne sont pas assez bien représentées. Cela conduit au sécessionnisme et inévitablement à des conflits et à des guerres. On l’a constaté dans les années 1990 en ex-Yougoslavie : les Croates, Serbes, Bosniaques et Slovènes qui vivaient en bonne harmonie se sont violemment divisés et la sécession d’un des peuples a déclenché celle des autres. C’est là toute la crainte du Premier ministre éthiopien : que la sécession du Tigré – déjà grave en tant que telle – ne soit le signal déclencheur de la sécession d’autres régions.
Mais l’histoire montre qu’avoir pour seule réponse la répression n’a jamais conduit à un accord et a plutôt nourri les rancœurs et les soifs de futures sécessions. Un accord politique entre les Tigréens et le reste des Éthiopiens, sans passer par la menace militaire, pourrait conduire à une paix plus durable et non à une simple accalmie.
J’avais évoqué, à propos de la Yougoslavie, le concept de prolifération étatique – le fait que des États cherchent à se séparer les uns des autres. On le constate, l’exemple tchécoslovaque du divorce de velours est plutôt une exception. Généralement, la sécession conduit à des conflits d’autant plus sanglants qu’ils sont des conflits entre cousins.
Dans le cas éthiopien, comment parvenir à une solution ? Les pressions et médiations internationales seront-elles suffisantes ? Il faudrait que l’ensemble de la communauté internationale pèse de tout son poids. Mais est-ce possible ?
L’heure est très grave : il pourrait y avoir de nouveaux crimes de guerre dans les jours à venir si l’armée éthiopienne n’est pas arrêtée. Il faut donc faire pression, et ce sur les deux parties, car les Tigréens doivent également entendre raison. Tous doivent comprennent qu’ils ont plus à perdre qu’à gagner dans un tel affrontement. Il faut à tout prix parvenir à un accord afin d’éviter de nouveaux massacres, suffisamment nombreux dans le pays jusqu’à aujourd’hui, et que le pays ne s’enfonce plus durablement dans un conflit fratricide.
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