En ce jeudi 5 novembre, la victoire de Joe Biden aux élections présidentielles américaines ne semble plus guère faire de doute. La nuit dernière, il a d’ailleurs tenu un discours de réconciliation, discours traditionnel pour un vainqueur d’une élection présidentielle, aux États-Unis ou ailleurs. Il s’agissait pour lui d’affirmer qu’il sera le président de tous les Américains et pas seulement de ceux qui ont voté pour lui. Un discours que Donald Trump n’avait pas tenu ni lors de son élection ni par la suite. Preuve que pendant quatre ans, il s’est uniquement adressé à ses électeurs.
Dans le cas de ce scrutin très serré, Trump risque de ne pas du tout apprécier sa défaite et de ne pas faciliter la tâche du vainqueur, comme il est normalement d’usage dans une démocratie. Hillary Clinton, qui avait pourtant obtenu 3 millions de votes de plus que Donald Trump en 2016, avait malgré tout reconnu sa défaite. Mieux encore, en 2000, Al Gore avait accepté sa défaite alors que lui aussi avait récolté plus de voix que George Bush, qui avait obtenu la victoire grâce à une décision de la Cour Suprême qui avait suspendu le décompte des votes dans l’État clé de Floride, alors dirigé par son frère.
Contester la défaite n’est pas dans la tradition des démocraties, aux États-Unis ou ailleurs. Trump va certainement rompre avec cette tradition en contestant les résultats le plan juridique. On a vu cette nuit que certains bureaux de vote avaient été entourés par des hommes en armes par des gens en armes qui souhaitaient interrompre le décompte des votes. Ce ne sont pas des scènes dignes d’une démocratie. Il y aura des recours judiciaires, ce qui est plus admissible au regard du droit. En tout cas, l’actuel locataire de la Maison-Blanche va vouloir présenter sa défaite comme une victoire volée due à la tricherie du camp démocrate. Il va donc tenter de saboter le travail de réconciliation de Joe Biden au cours de son mandat.
Donald Trump va intégrer le club assez peu fréquenté des présidents américains qui n’ont fait qu’un seul mandat. Depuis la Seconde Guerre mondiale, il n’y eut que Jimmy Carter, battu en 1980 par Reagan – Jimmy Carter s’est ensuite consacré à des missions humanitaires et à sa fondation qui œuvre pour la paix, on n’imagine guère Trump en faire autant – et George Bush père qui avait été battu après un unique mandat par Bill Clinton, et qui a eu sa revanche avec l’élection de son fils en 2000. Que va faire Donald Trump par la suite ? Il ne se contentera pas de s’occuper de ses affaires personnelles. Son tempérament le poussera certainement à développer une capacité de nuisance maximale pour gâcher le mandat de celui qui l’a vaincu. On sait déjà qu’il avait une dent personnelle contre Obama, rancœur qui l’avait d’ailleurs en partie amené à se présenter. Il va certainement en être de même à l’égard de Biden. Trump ne risque pas de prendre sa retraite et il voudra certainement encore peser sur la politique américaine. Il a tout de même été le choix de 68 millions d’électeurs lors de ce scrutin, ce qui reste un score très impressionnant. Il a environ 90 millions d’abonnés sur Twitter et a par ailleurs emmagasiné, au cours des deux campagnes, des informations et données sur son électorat qui ne pourront que lui être utiles par la suite. Il est même question qu’il crée une chaîne de télévision, milieu dans lequel il a prospéré avant de se lancer en politique. Et retour en télévision motivé là aussi par la rancœur qu’il entretient à l’égard de Fox News, chaîne pourtant ultra conservatrice, qu’il estime ne pas l’avoir suffisamment soutenu dans cette campagne. Il pourrait ainsi créer une chaîne de télévision qui viendrait évidemment nourrir les débats. Trump fera également tout pour peser sur la prochaine élection et sur le candidat qui portera, en 2024, les couleurs du parti républicain.
Revenons-en à l’issue de l’élection, le Sénat risque de rester à majorité républicaine et même si Joe Biden, qui a occupé un poste de sénateur pendant 38 ans et qui connaît par cœur les rouages de l’institution, pourra y disposer d’appui, il devra également faire face à une large opposition républicaine. Donald Trump va donc tout faire pour que Joe Biden puisse le moins possible réaliser son objectif de réconcilier l’Amérique avec elle-même, lui qui laisse une société fracturée, très profondément divisée. Mais il est peu probable dans tous les cas que Biden parvienne à le faire puisque pour cela il faut une volonté de réconciliation du vainqueur qui n’existait pas en 2016 et une acceptation de la réconciliation par le vaincu, qui n’existe pas plus en 2020.
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