Dans un livre épais de 522 pages publié aux éditions L’Observatoire, Nicolas Sarkozy livre les mémoires de ses deux premières années de mandat.[1] Comme toute autobiographie, l’auteur veut témoigner pour que justice soit rendue à sa politique.
Il y évoque quelques anecdotes inconnues, y règle quelques comptes : François Bayrou comme personnalité, les enseignants comme corporation, occupent le haut du classement de remarques vachardes.
Nicolas Sarkozy reconnaît aimer les tempêtes et même les rechercher, car elles constituent, dit-il, son identité, et qu’il a toujours essayé de se rendre indispensable là où il se trouvait.
On se concentrera dans cet article sur les questions de politique extérieure. Si Nicolas Sarkozy insiste à de nombreuses reprises sur son attachement à la famille occidentale, son action diplomatique n’a cependant pas été passivement suiviste de celle des États-Unis.
Il dresse un portrait élogieux de George W. Bush, dont il estime que le leadership est incontestable et qu’il fut le président qui croyait le plus en l’universalité des valeurs américaines. Il reconnait cependant que la guerre d’Irak (qu’il nomme « intervention américaine ») reste une tâche sur son bilan et que Jacques Chirac a eu raison de ne pas le suivre. Il critique cependant par la suite la menace du recours au veto, oubliant qu’un vote négatif de la part d’un membre permanent du Conseil de sécurité est nécessairement un veto. Il marque plus de réserve à l’égard d’Obama, même s’il se félicite que sa popularité ait permis de rendre moins contestée sa décision de réintégrer l’OTAN.
Sur la Russie, il se distingue des néoconservateurs qui l’ont fortement soutenu en 2007. Il justifie la politique de contact et de coopération qu’il a eu avec Vladimir Poutine sur lequel il écrit : « Une fois la confiance acquise, il n’a qu’une parole et il la respecte. Ce qu’il déteste le plus, c’est le double langage. Je ne voulais pas entendre parler d’une coalition européenne contre la Russie ».
À plusieurs occasions, il égratigne assez sévèrement celui qui fut son ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner. Il lui reproche l’écho médiatique de ses déclarations enflammées et d’avoir fait plutôt le choix de parader que d’avoir des résultats en matière de droits de l’homme. Il donne comme exemple l’action qu’il a eu pour aider à la libération des Pussy Riot., condamnées à la prison pour avoir dansé sur l’autel de la cathédrale de Moscou. Il a plaidé leur cause auprès de Vladimir Poutine, mais sans le faire publiquement : « Il peut être accessible à la contradiction, écouter et surtout entendre, à condition qu’il n’y ait aucune pression extérieure. »
Dans le même état d’esprit, il justifie sa décision d’aller à l’ouverture des Jeux olympiques de Pékin non seulement en tant que président français, mais également pour représenter la France et que celle-ci ne soit pas absente. « Ne pas se rendre à Pékin aurait été un camouflet non seulement pour le président Hu Jintao, mais pour le milliard 300 millions de Chinois. »
Alors qu’il avait été très offensif à l’encontre de Moscou et de Pékin dans la campagne électorale, il a donc adopté un profil plus réaliste une fois élu.
Il admet par ailleurs que c’est pour priver le Parti socialiste d’un leader qu’il a soutenu à sa demande la candidature de Dominique Strauss Kahn à la tête du FMI.
Il revient sur son fameux discours de Dakar. Il en profite pour faire une distinction entre la traite négrière qu’il considère comme un crime contre l’humanité, ce que n’est pas à ses yeux la colonisation : « Le système était injuste, indéfendable, cruel, mais à l’intérieur de celui-ci, il y a eu des comportements individuels qui pouvaient être nobles ».
Il se dit surpris par le déferlement contre sa phrase « L’homme africain n’est pas assez montré dans l’histoire ». Il regrette qu’elle ait occulté tout le passage où il condamnait la traite négrière et l’esclavage. Il explique avoir simplement voulu dire qu’il ne fallait pas ressasser le passé, mais se projeter dans l’avenir. Mais, admet-il, « C’était une erreur. Comment le contester ? »
Impressionné par le développement des pays du Golfe qui ont réussi en trois générations à utiliser la manne pétrolière de façon qu’il juge remarquable, il regrette les « campagnes médiatiques déséquilibrées » à leur encontre.
Nicolas Sarkozy rappelle qu’il a voulu dès le début de son mandat avoir un langage de vérité et dire nettement à la Turquie qu’elle n’avait pas sa place au sein de l’Union européenne. Il estime que les actuelles dérives d’Erdogan viennent conforter ce choix critiqué par certains à l’époque. Mais on pourrait répliquer que les signaux vexatoires de fermeture envoyés à Erdogan ont contribué à lui faire prendre une politique plus agressive à l’égard de ses partenaires occidentaux.
Évoquant sa visite en Israël et son discours à la Knesset, il rappelle que son soutien indéfectible et son amitié pour Israël ne l’ont pas empêché d’avoir un « discours de vérité », déclarant devant les parlementaires qu’il n’y aurait pas de sécurité pour Israël tant qu’il n’y aurait pas à ses côtés un État palestinien, et qu’il ne pouvait y avoir de paix sans l’arrêt total et immédiat de la colonisation. Et d’ajouter que Jérusalem devait être la capitale des deux États. Il rappelle que George W. Bush n’avait pas dit un mot sur l’État palestinien quelques semaines auparavant dans le même lieu : « Je voulais faire bien comprendre que j’étais l’ami indéfectible d’Israël, pas son otage. »
Sarkozy raconte également dans le détail les deux crises où son action en tant que président du Conseil européen et l’activisme énergique qu’on lui reconnaît ont permis de contribuer à une sortie de crise ou en limiter les dégâts. C’est l’affaire du conflit entre la Géorgie et la Russie en 2008, où il est loin d’attribuer la responsabilité à la seule Russie et se montre au contraire sévère envers le président géorgien, Mikheil Saakachvili. Il raconte notamment qu’il a dû exiger que les deux conseillers américains qui l’entouraient sortent de la pièce où il devait négocier avec celui-ci. Il précise également son rôle dans la création du G20 lors de la crise de 2008.
À plusieurs reprises, il critique la légèreté des médias dans le traitement de l’information. Il n’hésite pas à forcer le trait en se présentant comme ayant été trop souvent sous le feu de leur critique, ce qui ne sera pas un avis partagé par tous.
Déclarant avoir voulu faire des droits de l’homme un axe majeur de sa politique, tout en fustigeant ceux qui font sur ce sujet dans la posture et le déclamatoire, alors que la discrétion est gage de réussite, il place l’invitation à Kadhafi au début de son quinquennat dans cet axe et ne s’étend pas trop sur cet épisode. Elle aurait été faite pour le remercier d’avoir libéré des infirmières bulgares et estime que le prix à payer était nul. On attend désormais le tome 2 de ses mémoires pour connaître son explication de l’intervention de 2011 en Libye.
[1] Cf en téléchargement libre sur mon blog « Comprendre le Monde » mon livre « Le Monde selon Sarkozy »