Coronavirus : concilier urgence et long terme

C’était il y a trois mois, mais cela paraît il y a un autre siècle. La globalisation était célébrée pratiquement dans le monde entier. Certes, le président des États-Unis et les anciennes classes ouvrières des pays occidentaux émettaient des réticences parce que cette mondialisation leur apparaissait comme la cause de leur déclassement social et de la perte du pouvoir d’achat. Mais partout ailleurs la globalisation était vue comme la meilleure chose qui soit arrivée à l’humanité. Même le leader du parti communiste chinois Xi Jinping célébrait l’ouverture des frontières et l’économie de marché. Les pays africains qui en étaient restés longtemps à l’écart, s’y jetaient de plain-pied et y voyaient la promesse de l’accès à la modernité, de la croissance économique et d’une meilleure gouvernance. L’Asie toute entière se félicitait d’avoir pu, grâce à elle, sortir des millions de personnes du seuil de pauvreté. Les pays du Golfe étaient devenus le hub aérien, économique et commercial, entre l’Europe et l’Asie.

Depuis déjà près de 30 ans, les analystes célèbrent la fin des frontières, l’émergence d’un monde où tout circule sans entraves, aussi bien les hommes que les produits, et où le concept même d’État-Nation est remis en cause par le développement des flux, des réseaux, qui rendent en partie l’État obsolète. La Chine était lancée dans une course en avant où la seule question qui se posait était de savoir non pas si, mais quand, elle allait dépasser les États-Unis et devenir la première puissance économique mondiale.

Depuis trois mois, tout est remis en cause. La crise du coronavirus a tout d’abord frappé la Chine et l’a mise à l’arrêt économique pendant plusieurs semaines, stoppant sa croissance. Certains mettaient alors en avant la nature dictatoriale de l’origine qui lui avait permis de confiner des millions d’habitants pour lutter contre l’épidémie.

Mais les rivaux de la Chine allaient vite déchanter, car eux-mêmes étaient atteints. Les uns après les autres, les pays fermaient leurs frontières et imposaient à leurs citoyens de ne pas sortir de chez eux, ce qui serait apparu comme parfaitement inacceptable auparavant et digne des pires dictatures. Le spectre des grandes pandémies du passé – la grippe espagnole de 1918, qui avait tué entre 50 et 100 millions de personnes, ou la Grande Peste du XIVe siècle qui avait décimé le tiers des populations européennes et asiatiques – faisait trembler tout le monde. Et celui-ci semble désormais à l’arrêt. Les bourses dévissent, les avions restent cloués au sol ou circulent au trois quarts vides.

La globalisation, c’est une formidable contraction du temps et de l’espace. Elle a fonctionné également pour la diffusion du coronavirus qui a bloqué le monde entier en trois mois.

Peut-on dire que rien ne sera plus jamais comme avant ?

Il y aura certes des leçons à retenir ne serait-ce que pour des questions environnementales. Peut-être qu’il faudra produire plus près de chez soi et ne pas multiplier les échanges dont certains sont inutiles. Il y aura un développement des circuits courts, des échanges de proximité sur lesquels on réfléchissait déjà, mais sans prendre de réelles décisions.

L’arrêt économique n’est que provisoire. La Chine devrait rapidement reprendre sa marche en avant vers la croissance. Le reste du monde suivra. Il y aura certainement une année blanche, mais dès que la crise sera passée, les gens auront de nouveau envie de voyager, de se distraire et de consommer. Mais il faudra le faire avec des comportements différents.

Les frontières vont se rouvrir et le monde n’est pas au bord de l’apocalypse. Il est en crise. Il ne faut donc pas être dans le déni et accepter des mesures drastiques contre lesquelles on aurait vivement protesté auparavant, mais sans sombrer dans le catastrophisme.

Il faudrait cependant qu’un optimisme retrouvé ne mène pas à l’inconscience.

Il faut dès maintenant réfléchir à des réactions rapides et collectives en cas de nouvelles pandémies. Cette crise ne doit-elle pas nous faire prendre conscience que nous vivons bien sur la même planète et que la solidarité n’est pas une option, mais une obligation ? Que seules des réponses multilatérales peuvent répondre à des défis globaux ? Que si nous avons le droit d’être égoïstes, nous ne pouvons pas faire preuve d’inintelligence, et que l’unilatéralisme se révèle alors dangereux pour tous ?

N’est-il pas urgent de réaliser que la santé n’est pas un luxe réservé à certains, mais un bien public mondial ? L’inégalité d’accès aux soins ne protège en rien les plus favorisés. Il est dès lors urgent de réfléchir et de mettre en place un accès généralisé aux soins, la contagion ne faisant pas de distinction selon le degré de richesse. Un système de santé réservé aux plus aisés n’est pas seulement immoral, il est inefficace.

N’avons-nous pas arrêté trop tôt les recherches pharmaceutiques et médicales lorsque l’épidémie du SRAS a été vaincue ? N’est-il pas plus que temps d’accélérer non pas la réflexion, elle est déjà là, mais les décisions pour empêcher le réchauffement climatique de devenir inéluctable ?

Le défi consiste en fait à lier les réponses urgentes et la réflexion à long terme. Elles ne sont pas antagonistes, mais complémentaires. C’est sans doute ce que nous savons le moins faire. Combiner les mesures à prendre immédiatement, sans sacrifier nos intérêts à long terme dans un monde qui bouge vite, est une impérieuse nécessité. Ce qui peut survenir d’ici quelques années apparaît trop souvent comme un horizon trop lointain pour s’en préoccuper aujourd’hui, surtout s’il y a une crise à régler immédiatement. Mais ignorer ces perspectives est le meilleur moyen d’être confrontés à de nouvelles crises.

 

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