Avec son livre L’archipel français, Jérôme Fourquet n’a pas seulement publié un best-seller et reçu le prix du livre politique. Il a également forgé un concept qui s’impose dans le débat public, celui d’un pays dont les habitants vivent sous le même drapeau national, mais dans des îles différentes et distinctes. Le sous-titre « Naissance d’une nation multiple et divisée » résume la thèse du livre.
L’auteur n’est pas nostalgique d’un âge d’or d’unité absolue dont il sait qu’il n’a jamais existé. Au temps des hussards de la république, la plupart des Français parlaient à leurs enfants dans leur langue régionale, signe d’une unité imparfaite. Mais si désormais nous parlons tous la même langue, d’autres facteurs de dispersion sont à l’œuvre. L’emprise de la religion catholique n’a plus rien à voir : en 1960, 4 baptisés sur 10 déclaraient se rendre à la messe, ils ne sont plus que 7 % aujourd’hui. Les prénoms se sont diversifiés : il y avait 2000 prénoms utilisés en 1950, même chiffre qu’au début du XXe siècle, il y en a 13 000 aujourd’hui. TF1 unissait également les Français puisque son journal et ses programmes étaient regardés par 40 % d’entre eux, à une époque où le replay n’existait pas. Les chaînes de télé et les moyens de diffusion sont multiples.
Mais l’effondrement du catholicisme a été suivi de celui de la contre-société communiste et c’est donc tout l’édifice idéologique de la société française qui s’est retrouvé déstabilisé.
Apparemment chaque famille était clairement identifiée, disposait de sa presse, de ses intellectuels, de ses organisations de jeunesse et de ses structures d’aide et d’antennes locales. Dans les années 1950-1960, se faire exclure du parti communiste équivalait à une excommunication ou un bannissement.
Les lignes de fractures sont donc nombreuses : marginalisation des catholiques, sécession des élites, affranchissement culturel et idéologique d’une partie des catégories populaires, montée en puissance de l’hétérogénéité culturelle, régionalisme… Tout ceci conduit à une archipelisation de la société, constate et déplore Fourquet.
Les institutions qui permettent le brassage – colonies de vacances, service national – ont disparu. On est passé de 4 millions à 800 000 participants pour les colonies de vacances, qui disparaissent au profit de séjours thématiques plus coûteux.
Sur ce point, il faut cependant regarder la réalité et résister à ceux – et ce n’est pas le cas de Jérôme Fourquet – qui réclament d’autant plus vivement le rétablissement du service militaire qu’ils savent qu’ils n’auraient pas à le refaire.
On ne va pas reconstruire la caserne, la conscription serait un poids et non un atout pour nos armées. Mais surtout, s’il est vrai que pendant longtemps le service national a été un facteur de brasage social, il ne jouait plus le rôle depuis longtemps, mais pas tant du fait des exemptions que des « décisions individuelles d’affectation », en clair le piston qui permettait aux « fils de » de rester à Paris et envoyait à Mourmelon les « petits gars de 93 ». Reste que le constat de Fourquet est imparable.
Ces élites ont fait sécession et ont de plus en plus de mal à comprendre la France d’en bas. Cela aboutit à l’autonomisation des catégories les plus favorisées.
Les « CSP plus » vivent de plus en plus en autarcie, disposant de logements, de commerces, d’espaces culturels, de loisirs, de lieux de travail distincts…, démontre Jérôme Fourquet.
La part des élèves d’origine modeste parmi les étudiants des quatre plus grandes écoles d’études supérieures (Polytechnique, ENA, HEC, ENS) est passée de 29 % en 1950 à 9 % au milieu des années 1990.
La société est devenue définitivement multiculturelle : 10 % des militaires français sont arabo-musulmans d’origine et la logique du « retournement du stigmate » a conduit après le 11 septembre et les débats sur le port du voile de 2004 – donc dans l’affirmation d’un climat hostile à l’islam – à une réaction d’affirmation identitaire.
Selon lui en 2005, avec la non-prise en compte du « non » au référendum constitue un basculement de la société française. Le peuple s’est exprimé contre l’avis des élites, qui se sont vengées en adoptant par voie parlementaire à peu près le même texte rejeté par référendum. Le divorce peuple/élite est prononcé.
Dans les sondages d’opinion, la variable aujourd’hui la plus discriminante est celle du niveau d’études plus que celle du revenu ou de la catégorie sociale. Une autre ligne de clivage est celle des « gagnants » ouverts face aux « perdants » fermés.
L’abandon des services publics, l’éloignement, les zones géographiques moins bien desservies par les transports en commun, l’accès restreint à l’offre culturelle, la distance de la métropole… Tout ceci contribue à nourrir le vote Front National qui devient de plus en plus fort à mesure que l’on s’éloigne d’une gare.
En conséquence, la venue au monde d’une France aux contours et aux ressorts nouveaux, une nation multiple et divisée.
Il faut lire ce livre comme un cri d’alarme. À court terme, les élites ne risquent pas grand-chose à se replier sur elles-mêmes et à oublier les perdants de la mondialisation. Mais à terme, cela peut être dramatique.
Le redéveloppement des services publics est l’un des aspects pour y remédier tout en comptant sur le tissu des 600 000 élus locaux et le tissu associatif. Le risque n’est pas l’affrontement, mais l’évitement, selon l’auteur. Mais ce dernier put déboucher sur plus grave.
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