30 ans après la chute du mur de Berlin, Mikhaïl Gorbatchev livre ce qui est présenté comme son testament politique : « Le futur du monde global », aux éditions Flammarion. Analyse.
L’histoire a été cruelle pour Mikhaïl Gorbatchev. Son rôle a été déterminant non seulement dans la fin de la guerre froide et de la division de l’Europe et du monde, mais aussi pour que les dernières de cette période se déroulent de façon pacifique.
S’il y a un prix Nobel qui a été mérité, c’est bien celui qui lui a été attribué en 1990. Mais il est par la suite oublié par l’Occident (qui se rappelle de la Gorbymania de la seconde moitié des années 1980 ?) mais aussi dans les pays d’Europe de l’Est, qui pourtant lui doivent beaucoup. Il répond aux accusations selon lesquels il aurait bradé l’Europe de l’Est en expliquant qu’il a restitué la Pologne, la Hongrie, la Tchécoslovaquie. En Russie, on lui fait porter la responsabilité de l’implosion de l’URSS et de la perte de puissance et de prestige de Moscou. Il voulait régénérer le communisme, faire une sorte de socialisme à visage humain et libérer la parole en URSS, mais il n’a pas réussi à dynamiser l’économie, faisant l’inverse de ce qui s’est passé en Chine. Et il revient sur la grande erreur à ses yeux de l’intervention militaire soviétique en Afghanistan.
C’est peu dire que Poutine ne porte pas Gorbatchev dans son cœur. Mais il y a un point où les deux hommes se rejoignent : ils considèrent que le monde occidental a traité la Russie en vaincu de la guerre froide, et non comme un partenaire pour construire un nouvel ordre mondial). « Il y a 30 ans, personne ne remettait en question la fin de la guerre froide comme une victoire commune obtenue grâce au dialogue. Mais l’Ouest s’est proclamé vainqueur, les leaders américains ont voulu y voir leur victoire. », écrit-il.
Il estime que l’on a loupé une occasion en novembre 1990 avec la charte de Paris pour une nouvelle Europe qui représentait à ses yeux un véritable manifeste, un engagement envers les peuples du monde entier, mais qui a été passée par pertes et profits.
Il déplore la fin du traité FNI qu’il avait négocié avec Reagan qui avait mis fin à la crise des euromissiles et avait constitué un tournant majeur dans la fin de la guerre froide. C’est selon lui la preuve de l’aspiration des États-Unis à une supériorité militaire absolue.
Il rappelle la contribution historique de l’Union soviétique qui contrairement aux espoirs du régime irakien, n’a pas fermé les yeux sur l’annexion du Koweït. Il avait fait savoir à Saddam Hussein le caractère inadmissible de ses actes, et que pour la première fois l’URSS et les États-Unis étaient du même côté de la barricade dans le contexte d’un conflit régional et la guerre du Golfe de 1990 n’a pas eu les conséquences catastrophiques de la guerre d’Irak de 2003. Mais les espoirs de voir l’ONU obtenir le rôle central prévu par la Charte en matière de sécurité collective ont été abandonnés.
Il fait une double profession de foi : d’écologie tout d’abord, ce qui était déjà le cas lorsqu’il était au pouvoir, et d’appartenance à la sociale démocratie ensuite.
Sur l’Ukraine, il reprend la position nationale russe : l’accord d’association proposée par l’Union européenne voulait écarter la Russie. La Crimée a été donnée par erreur à l’Ukraine dans le cadre de l’Union soviétique en 1954, sans que la population soit consultée « En méprisant la volonté du peuple, exprimée par le référendum de mars 2014, les dirigeants occidentaux ont condamné la Russie et pris des sanctions à son encontre », écrit-il.
Et il regrette toujours la dissolution trop rapide et précipitée de l’Union soviétique le pays s’est disloqué l’État s’est effondré, des dizaines de millions de personnes en ont subi les conséquences négatives du fait du chaos économique qui en a résulté et il reconnaît que la situation s’est améliorée depuis que Poutine est au pouvoir.
Il condamne les élargissements de l’OTAN et le déploiement du système antimissile. Il déplore que l’Allemagne se soit associée aux sanctions contre la Russie alors qu’il avait, en son temps, écarté toute violence pour réprimer le désir d’émancipation des Allemands de l’Est à une époque où il y avait encore 500 000 soldats soviétiques stationnés en RDA.
Gorbatchev aura été un géant, un géant du XXe siècle qui aura eu un rôle historique décisif et positif à la fois, ce qui n’est pas si fréquent.
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