Catherine Wihtol de Wenden est directrice de recherche émérite au CNRS et enseignante à Sciences Po (Paris). Elle répond à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage « Atlas des droits de l’homme », dont elle a dirigé l’élaboration, préfacé par Henri Leclerc et paru aux éditions Autrement.
La carte montre que nous sommes encore loin de l’abolition universelle de la peine de mort, comment l’expliquer ?
142 sur 198 membres de l’ONU ont aboli la peine de mort. Ces abolitions ont souvent correspondu dans le temps avec des « moments abolitionnistes ». Aux États-Unis, 18 États sur 50 sont abolitionnistes, 4 le sont en pratique depuis longtemps, mais certains, comme le Texas, la considèrent comme partie prenante de leur histoire, voire de leur identité. La Chine la pratique encore (sous le sceau du secret d’État), mais en a réduit le nombre. L’Arabie saoudite la maintient, au nom de la charia (pour adultère, par lapidation). La peine de mort existe aussi en Irak, au Pakistan et en Iran, qui comptabilisent tous les cinq, 84% des exécutions. En Europe, c’est le Portugal qui l’a abolie le premier en 1867, suivi par l’Italie, à la fin du XIXe siècle, soit 100 ans avant la France (1981). Mais les alternatives (prison à perpétuité ou relégation dans les colonies), pratiquées hier n’ont pas été satisfaisantes, car elles n’ont pas toujours conduit à la reconstruction des victimes ni été un abri contre la récidive.
Y aurait-il un clivage Nord/Sud concernant les droits de l’homme ?
Oui, mais il ne va pas toujours dans le même sens. Ainsi les 50 États non-signataires de la Convention de Genève de 1951 sur l’asile sont des pays du sud. En revanche, parmi les 54 pays signataires de la Convention des Nations Unies de 1990 sur les droits de tous les travailleurs migrants et de leurs familles, il ne s’agit, à l’exception du Monténégro et du Kosovo, que de pays du sud, car les pays du Nord ne veulent pas être liés par des droits à accorder aux sans-papiers. Beaucoup de pays du sud ne sont pas des démocraties, aussi une multiplicité de droits n’est pas reconnue (liberté d’expression, d’association, liberté syndicale, accès aux droits, prisons, protection des libertés publiques à l’ère numérique) et parfois les États religieux de culture musulmane notamment limitent certains droits (droits des femmes, liberté de religion, persistance des castes en Inde malgré la Constitution). De plus le fait que la plupart des réfugiés proviennent de pays du sud (qui les accueillent également majoritairement, mais comme réfugiés de fait), que les déplacés environnementaux soient aussi originaires du sud de la planète, que les apatrides soient essentiellement des personnes du sud aggrave la situation des sans droits dans des pays qui ne leur donnent aucun statut. Les pays du sud deviennent aussi des pays d’immigration, sans aucune législation le plus souvent sur l’immigration et l’asile, dans un contexte de mondialisation accrue des migrations, ce qui va aggraver les carences au regard des droits de l’homme auprès des populations mobiles du sud du monde.
La carte de l’esclavage montre-t-elle une persistance inquiétante ?
Oui, car il continue d’être pratiqué dans nombre de pays du sud, du fait de la non-application de la législation des États. Les raisons en sont multiples. Il peut s’agir de la poursuite de l’esclavage domestique traditionnel (comme en Haïti ou en Mauritanie), du travail forcé et de la traite des êtres humains, du travail des enfants, imposé par les mafias du passage irrégulier des frontières imposant l’esclavage comme contrepartie, de l’esclavage sexuel du fait de la mondialisation de filières de prostitution. Une victime sur quatre est un enfant, 71% sont des femmes et des filles. Des formes d’esclavage existent aussi à la suite de guerres civiles, dans les camps. En France ce n’est qu’en 2013 que le crime d’esclavage est entré dans le Code pénal. Souvent, l’esclavage correspond aussi à des clivages ethniques ou racialisés : castes, subsahariennes et arabes, Blancs/Noirs en Amérique latine, en Afrique et en Asie et semble long à éradiquer compte tenu de sa longue tradition dans les pratiques des pays concernés.
Cet entretien est également disponible sur Mediapart Le Club.