Asif ARIF, avocat au barreau de Paris, est auteur et conférencier sur les questions de faits religieux de terrorisme, d’islam et de laïcité. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de son ouvrage « Être musulman en France », préfacé par Bernard Godard, aux éditions L’Harmattan.
Vous estimez nécessaire de rappeler que la République n’est pas athée, pourquoi ?
Effectivement dans le contexte actuel, il est important de rappeler que la République ne reconnait aucun culte. D’ailleurs, au moment des débats sur la loi de 1905, la partie anticléricale avait demandé, sans que cela soit accepté par Jean Jaurès, qu’il soit inscrit que la République est athée. Car l’athéisme correspond à une philosophie de vie dont ne peut pas être imbibé un représentant du service public, qui se doit d’être neutre.
Ces derniers temps, on assiste à de nombreuses polémiques, fussent-elles futiles, qui visent à demander, de plus en plus, une neutralité des citoyens dans l’espace public. Cette revendication s’appuie sur le fait que l’État français est laïque. Or, la laïcité de l’État n’est pas la neutralité des citoyens. Les citoyens sont libres d’adopter une religion de leur choix. Il faut donc le rappeler constamment dans une société qui martèle régulièrement qu’il faut soit être athée pour être un « bon » républicain ou soit avoir une religion sans trop la pratiquer.
Qu’entendez-vous par le concept d’« extension de la laïcité » ?
Les extensions concernant la laïcité sont nombreuses. Ces derniers temps, on assiste à des débats sur les parents accompagnateurs lors des sorties scolaires, sur le voile à l’université, sur le voile des fillettes mineures, sur l’interdiction du salafisme, sur les menus de substitution, sur le halal dans certains supermarchés, sur l’islamisme (terme qui ne signifie plus rien aujourd’hui dans le débat public tant il est utilisé à mauvais escient).
De ces débats ressort assez souvent, en toile de fond, la nécessité de rappeler la laïcité, de la renforcer. Or, on demande de plus en plus à donner à la violation de la laïcité une forme de criminalisation là où il convient simplement de solliciter le respect de la laïcité dans son intégralité. En mettant en avant la mauvaise application de la laïcité dans un endroit spécifique (qui relève davantage de l’anecdote que d’un cas de violation systématique de la laïcité) on tente de faire évoluer la laïcité. Par exemple, la réponse aux polémiques sur le Burkini serait de renforcer la laïcité en interdisant le port du voile à l’université. Ce type de tournures purement politiciennes sont monnaie courante dans la vie politique française. Cette instrumentalisation de la laïcité et le culte de l’anecdote doivent s’arrêter et on doit impérativement commencer à considérer les Français de confession musulmane comme des Français à part entière.
Selon vous, « ne pas être Charlie » est devenu un blasphème. Comment l’expliquer ?
Cela s’explique par plusieurs éléments importants. D’abord, lors de la publication des caricatures danoises, Charlie Hebdo a été vu comme un héros de la liberté d’expression. Cela a été renforcé lorsque les frères Kouachi ont lâchement assassiné plusieurs membres de la rédaction de Charlie Hebdo, seulement en raison du positionnement de ce journal. Cela a renforcé, au sein de la population, le sentiment que si nous ne sommes pas Charlie, nous ne condamnons pas réellement ce qui s’est passé au sein de cette rédaction.
C’est là que tout le vice intellectuel d’un tel raisonnement se trouve. En réalité, on peut très bien condamner fermement ce qui s’est passé avec Charlie Hebdo (que ce soit les menaces de mort, le local qui avait été volontairement incendié ou l’attentat qui a été commis contre Charlie) sans pour autant cautionner la ligne éditoriale de Charlie que l’on peut trouver médiocre à bien des égards. D’ailleurs, l’esprit même de Charlie Hebdo, celui de la liberté, voudrait évidemment que l’on puisse critiquer sa ligne éditoriale tant qu’on ne l’empêche pas de publier. Mais s’il publie, on ne peut pas demander à tout le monde d’aimer, on ne peut pas forcer des individus à être Charlie. Ainsi est matérialisée, organiquement et matériellement, la notion de liberté.
Que pensez-vous des débats sur le concept d’islamophobie ?
La notion d’islamophobie divise. D’aucuns disent qu’il convient d’adopter le concept d’actes antimusulman, d’autres disent que l’islamophobie aboutit à interdire toute critique de l’islam. Tout au plus, ce dernier argument tient lieu de farce. Si la critique de l’islam était interdite en France, nous n’aurions pas eu toutes ces unes de différents magazines peu éloquents sur l’islam. L’islamophobie vise une catégorie bien particulière d’actes : un acte délictuel (appel à la haine, meurtre, menaces) ayant été commis en considération de l’appartenance à la religion musulmane de quelqu’un est un acte islamophobe.
L’islamophobie a aujourd’hui atteint son comble lorsqu’on apprend que le terroriste d’extrême droite qui a perpétré son attentat à Christchurch s’était en réalité radicalisé en France en s’abreuvant de la théorie du Grand Remplacement de Renaud Camus. Il est incroyable qu’après un événement aussi grave, certains osent encore discuter du caractère islamophobe de ce dernier. Il y a des limites à ne pas nommer les choses. L’islamophobie doit être nommée et combattue comme toutes les autres formes de racisme et de discriminations.
Cet entretien est également disponible sur Mediapart Le Club.