Ministre des Affaires étrangères de 2007 à 2012, Hubert Védrine est président fondateur de Hubert Védrine Conseil. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage « Compte à rebours », aux éditions Fayard.
Quand beaucoup dénoncent la montée du populisme, pourquoi y voyez-vous le syndrome de l’échec des élites ?
Ce que l’on appelle le « populisme » mesure l’échec des élites mondialisatrices et européistes à convaincre et entraîner les peuples plus avant. Leurs condamnations du populisme sont donc vaines et sans effet. Il faut traiter les peurs et attentes sous-jacentes des peuples. Elles sont évidentes. Ils veulent garder une certaine identité, ne pas perdre toute souveraineté et être en sécurité (le monde est inquiétant). Il ne faut pas mépriser ces revendications, mais les traiter pour les apaiser et rassurer. Sinon, le déni nourrit les extrémismes.
Pourquoi insistez-vous sur la nécessité d’écologiser la politique ?
Je suis frappé par la conjonction des engrenages à l’œuvre dans le monde, dont aucun n’est mécaniquement favorable aux Européens. Notamment la croissance démographique alors que l’Europe va, au mieux, stagner (il faudra de toute façon partout dans le monde, mieux gérer ces flux). Mais il y a surtout la dégradation écologique, d’où mon titre « Comptes à rebours ». Il ne s’agit pas « d’écologiser la politique », les écologistes politiques ont à l’évidence échoué, mais d’accélérer, par des politiques appropriées, l’écologisation de l’agriculture, de l’industrie, de l’énergie, des transports, de la construction, etc. Autant d’éléments qui dépendront également beaucoup des percées scientifiques. Ce qui est enclenché ne va pas s’arrêter.
Comment expliquer que, malgré les nombreuses concertations de dirigeants, il n’existe pas de « communauté internationale » ?
Il y a certes une forte activité multilatérale au sein de l’Organisation des Nations unies (ONU), de ses organisations spécialisées et de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), et de nombreux sommets qui engagent des dizaines de milliers de fonctionnaires. Mais, les peuples ne forment pas encore une « communauté ». Les mentalités, les peurs, les espérances sont trop différentes. Pourquoi ne pas y travailler en se basant sur la prise de conscience écologique ? Pour le moment, il n’y a « communauté » qu’à certains moments : COP21, parfois unanimité au Conseil de Sécurité de l’ONU…
Pourquoi estimez-vous que le dossier russe nécessite de s’affranchir des États-Unis, engagés dans une dangereuse escalade avec Moscou ?
L’actuel remake de guerre froide, sans même les mécanismes de la Détente qui existaient autrefois, est une impasse. Il faut imaginer une relation Europe/Russie à long terme, où l’Europe se montrerait ferme et dissuasive, mais aussi coopérative. Ce n’est pas facile à réaliser, d’autant plus que la politique occidentale des trente dernières années a réveillé les pires reflets en Russie ! Raison de plus pour ne pas dépendre des faucons et des foucades de Washington. Cet accord stratégique entre Européens est très important (quelle stratégie envers la Russie ?) et, contrairement à une idée reçue, ne serait pas automatiquement renforcé par une plus grande intégration économique de la zone euro. C’est une question de mentalité, de volonté et de courage au niveau des dirigeants.
Cet entretien est également disponible sur Mediapart Le Club.