Le film de Steven Spielberg, « Pentagon Papers », est une magnifique ode au journalisme d’investigation, comme une suite bienvenue au film sur le Watergate, « Les hommes du président », sorti en 1976.
On y voit des journalistes courageux, conscients du rôle essentiel qu’ils jouent pour l’information du public et la démocratie et une patronne de presse, vaillante femme au sein d’un milieu d’hommes, qui risque sa liberté et sa fortune au nom d’une mission qu’elle juge essentielle : le respect du public.
Résumons l’affaire : à la demande de Robert McNamara, à l’époque secrétaire à la Défense, un rapport classifié de 7000 pages avait été conduit sur la guerre du Vietnam. Ce dernier montrait que, dès le départ, l’exécutif avait menti à la Nation et qu’il savait, depuis très longtemps, l’issue dramatique de cette guerre. Il a néanmoins choisi de la poursuivre et de l’amplifier. Un analyste écœuré par ce mensonge fait fuiter le rapport en 1971. Nixon saisit la justice afin d’interdire la publication de certains passages dans le New York Times, au nom de la sécurité nationale et de celle des soldats encore sur place. L’interdiction est prononcée. La rédaction du Washington Post obtient la copie complète du rapport. Faut-il continuer malgré la menace juridique pouvant aller jusqu’à l’emprisonnement ? N’y-a-t-il pas un risque de survie pour le journal, au moment où il négocie sa délicate entrée en bourse supposée garantir son avenir ? Le rapport met en cause Robert McNamara, un ami intime de la propriétaire du Washington Post. La Cour suprême autorise la publication, utilisant cet argument imparable : la presse doit être au service des gouvernés et non des gouvernants.
Les amis de Reporters sans frontières (RSF), qui organisaient la projection en avant-première lundi 22 janvier 2018, étaient à la fois sous le charme d’un film qui met à l’honneur des journalistes, et inquiets de savoir dans quelles conditions cela serait encore possible aujourd’hui. RSF, dont on connaît l’action inlassable pour sauvegarder ceux qui risquent leur vie et leur liberté pour informer le public, aborde ici un autre sujet. Les pouvoirs répressifs, s’ils sont les plus dangereux, ne sont pas les seuls qu’il faille craindre. Les liens amicaux entre journalistes, patrons de presse et pouvoirs, qui mènent au journalisme de complaisance, mettent également en danger la démocratie. Il est important d’éviter, à l’heure où les médias sont vivement critiqués, les amalgames injustifiés. Certes, il existe des journalistes qui pensent en priorité à leur carrière, au risque de ne pas remplir correctement leur devoir d’informer, évitant soigneusement de gêner les différents pouvoirs en place. Certes, il existe aussi un journalisme d’influence où le plus important est d’orienter un public, considéré trop immature pour avoir un jugement propre, et faire valoir ses propres convictions au lieu d’informer. Mais il en est également d’autres qui ont la conscience professionnelle chevillée au corps et continuent à vouloir exercer un métier qui est aussi, pour eux, une passion. Ces derniers estiment qu’il n’existe pas de vérité dérangeante, que le travail bien fait et l’intégrité peuvent être payants à long terme. Les fake news constituent un fléau, mais les pratiques de complaisance et les stratégies d’influence sont également détestables et font le lit du complotisme.
Pentagon papers est l’occasion d’un débat de fond sur la nécessité démocratique d’une presse intègre et courageuse, courageuse parce qu’intègre. Si la bataille est difficile, elle n’est pas perdue. Et les réseaux sociaux, s’ils ne sont pas sans défaut, peuvent dans certains cas servir d’aiguillon pour mettre en lumière complaisance et influence.
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