Deux livres viennent de paraître sur les réseaux d’influence de Poutine en France : le premier est écrit par une universitaire, Cécile Vaissié, et le second par un journaliste, Nicolas Hénin. Les deux mettent en avant les tentatives de séduction et d’influence que Moscou tente de bâtir en France mais ils sont très différents : le livre du journaliste est une enquête fouillée et sérieuse ; celui écrit par l’universitaire est un pamphlet excessif et peu rigoureux.
Cécile Vaissié argue de son statut d’universitaire pour dénier à tout autre, et surtout ceux qui ne partagent pas son point de vue, le droit de s’exprimer sur la Russie. Elle va même jusqu’à estimer que Jean-Pierre Chevènement n’aurait aucune légitimité à le faire (!). Ce livre ne respecte en rien les codes universitaires de mise en perspective, de contextualisation et de refus de l’extrapolation. Le livre de Nicolas Hénin n’est pas du même tonneau. Il ne contient pas d’erreurs, démonte les réseaux mis en place par Moscou et l’influence que Poutine peut exercer en France, notamment auprès de l’extrême droite.
On peut néanmoins s’interroger, non sur la pertinence du sujet, mais sur l’importance qui lui en est donnée. Nicolas Hénin reconnaît lui-même que, malgré tous leurs relais, les réseaux russes ont leurs limites. Il admet que, malgré les investissements réalisés par la Russie en France, Moscou n’est pas parvenue à mettre à profit la conjonction extrêmement profitable du duo Sarkozy/Fillon à la tête de l’exécutif.
La Russie, comme d’autres pays avec du retard, s’est également mis au soft power. C’est une réalité indéniable, et plutôt une nouveauté. Il est donc normal de s’y intéresser mais il faut également la relativiser, eu égard au poids sans commune mesure des autres puissances qui exercent une influence beaucoup plus forte sur les élites politiques médiatiques françaises.
Entre le russia bashing et la soumission au Kremlin, ces deux livres oublient également qu’il peut y avoir des politiques ou experts qui estiment qu’il convient de prendre en compte le poids de la Russie par réalisme, si on veut parvenir à un résultat. Prôner une confrontation directe avec elle ne leur paraît pas toujours judicieux, la France pouvant avoir intérêt, pour sa propre politique étrangère, d’établir des partenariats au coup par coup avec elle. Cela n’en fait n’en fait ni des stipendiés de Poutine ni des idiots utiles.
En France, ces responsables politiques et/ou experts, qui plaident pour la levée des sanctions imposées à la Russie et pour un rapprochement avec Moscou, ne forment pas un camp unique. Si, en effet, il peut y avoir quelques agents d’influence, ils sont en réalité peu nombreux et leur influence est plutôt fluette. Leur crédibilité faible et leur rhétorique excessive ne leur permettent pas de réellement peser sur le débat public. On les voit venir de loin et les services français les surveillent de près. À l’inverse, ceux qui prônent la confrontation avec Moscou ont également des inspirations diverses. Le poids et le rôle des milieux néoconservateurs et/ou atlantistes ne peuvent être niés.
Les médias sont majoritairement anti-Poutine et les sondages d’opinion montrent un rejet assez fort de sa personnalité, ce qui prouve la limite des politiques d’influence en faveur de la Russie. Critiquer Poutine en France n’a jamais constitué un motif de sanction ou de pénalités professionnelles. Il n’en va pas de même de tous les pays étrangers.
Ce que ces deux livres ne font pas c’est se placer dans une perspective plus large en interrogeant la réelle influence des lobbys prorusses, en matière de politique étrangère. Dans le domaine stratégique, les cercles d’influence atlantistes, à travers leurs financements, la reconnaissance qu’ils accordent, les tremplins qu’ils peuvent constituer, les stimulants – aussi bien moraux que matériels – qu’ils peuvent accorder, sont sans commune mesure avec ce que peut faire le Kremlin.
HÉNIN (Nicolas), La France russe, Fayard, 2016, 322 pp.
VAISSIÉ (Cécile), Les réseaux du Kremlin en France, Les petits matins, 2016, 390 pp.