Jean-Paul Laborde est Directeur exécutif de la Direction exécutive du Comité contre le terrorisme (CTED). Il répond à mes questions à l’occasion de la cinquième conférence de Moscou sur la sécurité internationale.
Pouvez-vous présenter l’organisme que vous dirigez aux Nation unies ?
La Direction exécutive est un organe rattaché au Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU), à travers le Comité contre le terrorisme. Elle est en charge de l’évaluation de la menace mais surtout de permettre aux pays de développer, dans le cadre de l’État de droit et du respect des droits de l’Homme, leurs capacités de lutte contre le terrorisme.
Concrètement, on se rend dans les pays, on mène les évaluations puis on cherche des partenaires qui peuvent fournir la meilleure aide, ou ceux qui la donnent déjà, puis on effectue le suivi. C’est un travail institutionnel de longue haleine, car il s’agit d’un combat et non d’une guerre. On porte également la parole du Comité contre le terrorisme pour essayer de définir de manière plus précise ce qu’on entend par « actes terroristes », la différence avec « extrémisme violent », alors que les Nations unies ont 19 conventions et protocoles qui couvrent tous les actes de terrorisme.
Est-il difficile de faire respecter l’État de droit dans la lutte contre le terrorisme ?
Bien sûr que c’est difficile. Il y a plusieurs aspects à cette question.
Le premier aspect c’est que, malheureusement, l’État de droit, tel qu’il se reflète dans les conventions internationales, la charte des Nations unies, le Pacte des droits civils et politiques ou la Déclaration universelle des droits de l’Homme, reste souvent un idéal lointain. Il faut vivre concrètement cet État de droit dans la vie quotidienne.
Lorsque vous vous rendez dans un pays et que vous leur dites qu’il faut passer, par exemple, par la coopération pénale internationale, notamment des échanges d’information ou des extraditions, les systèmes judiciaires ne sont pas assez rapides pour absorber ces informations et agir en conséquence. Les autorités politiques passent alors par un autre chemin ; une « voie rapide ». Tout le danger réside lorsque cette dernière est utilisée car elle peut mener à des mesures qui, en elles-mêmes, sont contre-productives (exécutions, exclusions, etc.). Mais il ne faut pas rendre les armes ; autrement on ne sait pas pourquoi on se bat.
Vous avez parlé de 30 000 combattants terroristes étrangers. Est-ce une nouvelle phase de la mondialisation, une mutation du terrorisme ?
La notion a été définie par le Conseil de sécurité, lors de la résolution contraignante 2178. Ce n’est pas un phénomène nouveau : il y avait des combattants terroristes étrangers en Afghanistan ou lors de la guerre civile espagnole. Ce qu’il y a de nouveau c’est l’amplitude du phénomène et les objectifs des combattants. On n’avait, jusque-là, jamais été touché de manière aussi proche avec une telle ampleur : les combattants viennent d’Europe, du Maghreb et bien d’autres pays, pour rejoindre des organisations terroristes.
Cela reflète la mondialisation du terrorisme. Le phénomène est enraciné dans l’âme humaine : on cherche toujours à aller soutenir un idéal, à aller se battre pour une cause et utiliser pour cela tous les moyens, y compris les pires. Mais voilà : C’est là que l’on n’est pas bon. On ne sait pas faire comprendre à nos jeunes que le discours des organisations terroristes, en particulier ISIL (Daech), véhiculé la plupart du temps via Internet, est en réalité un langage de mort. La réalité est que ces jeunes, hommes et femmes, filles et garçons pour les plus jeunes, s’engagent pour une cause qui les amène à commettre des crimes odieux, sans rapport aucun avec un idéal religieux. Et nous, de notre côté, nous ne savons ni leur démontrer le caractère absurde et criminel de cet engagement, ni leur proposer des alternatives qui pourraient assouvir leur soif d’idéal. Évidemment, souvent, les vœux de ceux qui partent ne sont pas comblés. En outre, lorsqu’ils sont sur place, la plupart d’entre eux qui ne sont pas de réels extrémistes souhaitent déserter mais ne le peuvent pas, car Daech les empêche de repartir et en exécuterait même un très grand nombre.
Comment permettre leur retour ?
Cela nécessite du « sur-mesure », voire des systèmes qui nous permettent de différencier ceux qui se sont trompés, qui souhaitent se réintégrer. Il y en a beaucoup. La difficulté est de savoir si la personne qui revient dit la vérité ou non. Cela exige beaucoup d’attention, qui ne peut pas être uniquement policière.
La solution à ce sujet ne peut être trouvée seulement par les gouvernements – on doit impliquer à la fois la société civile et les entreprises privées. Il faut des méthodes très pratiques, des arrangements ad hoc, avec ces dernières, comme il en existe déjà (avec Google, Facebook, Microsoft, etc.) et travailler de manière innovante pour inclure le secteur privé de manière à ce qu’il soit totalement engagé. Il faut donc aussi s’appuyer sur la société civile (journalistes, associations, etc.). Cela doit faire partie du combat si nous voulons le gagner. À une menace globale et mondiale, nous devons trouver les réponses sociétales qui manifestent le plus clairement la cohésion contre ces organisations terroristes et offrir, en particulier, à nos jeunes des messages non seulement d’espoir, mais qui s’appuient sur des solutions concrètes porteuses d’espérance.